La non-communication du dossier médical : une faute aux conséquences graves

La communication du dossier médical est un droit fondamental du patient, consacré par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Pourtant, de nombreux cas de non-communication persistent, constituant une faute susceptible d’engager la responsabilité des professionnels et établissements de santé. Cette situation soulève des enjeux majeurs en termes de transparence, de confiance dans le système de santé et de respect des droits des patients. Examinons les contours juridiques de cette problématique, ses implications concrètes et les recours possibles pour les patients lésés.

Le cadre légal de l’accès au dossier médical

Le droit d’accès au dossier médical est inscrit dans le Code de la santé publique, notamment à l’article L.1111-7. Ce texte prévoit que toute personne a accès à l’ensemble des informations concernant sa santé détenues par des professionnels et établissements de santé. Ce droit s’exerce soit directement, soit par l’intermédiaire d’un médecin désigné par le patient.

Les modalités pratiques de cet accès sont encadrées par la loi :

  • Le délai de communication ne doit pas dépasser 8 jours pour les dossiers de moins de 5 ans, et 2 mois pour les dossiers plus anciens
  • L’accès peut se faire par consultation sur place ou par envoi de copies
  • Les frais de reproduction et d’envoi sont à la charge du demandeur, mais ne doivent pas être excessifs

La Commission d’accès aux documents administratifs (CADA) joue un rôle clé dans la mise en œuvre de ce droit. Elle peut être saisie en cas de refus de communication et émettre des avis contraignants.

Le non-respect de ces dispositions constitue une faute, susceptible d’engager la responsabilité du professionnel ou de l’établissement de santé. Cette faute peut être sanctionnée sur le plan civil, administratif, voire pénal dans certains cas.

Les motifs légitimes de non-communication

Si le principe est celui de l’accès intégral au dossier médical, il existe néanmoins quelques exceptions prévues par la loi. Ces motifs légitimes de non-communication doivent être interprétés de manière restrictive :

L’intérêt thérapeutique du patient : Dans des cas exceptionnels, le médecin peut invoquer le risque d’une grave atteinte à la santé du patient pour différer la communication de certaines informations. Cette décision doit être motivée et inscrite dans le dossier médical.

La protection du secret médical : Certaines informations concernant des tiers ou obtenues par leur intermédiaire ne peuvent être communiquées au patient sans l’accord de ces tiers.

La protection des mineurs : L’accès au dossier médical d’un mineur peut être refusé à ses représentants légaux si le mineur s’y oppose et a demandé le secret sur son état de santé.

Les notes personnelles du médecin : Ces notes, qui ne font pas partie intégrante du dossier médical, peuvent ne pas être communiquées.

En dehors de ces cas précis, tout refus ou obstruction à la communication du dossier médical constitue une faute. Les professionnels de santé doivent être particulièrement vigilants et bien connaître ces exceptions pour ne pas tomber dans l’illégalité.

Les conséquences de la non-communication fautive

La non-communication fautive du dossier médical peut avoir des conséquences graves, tant pour le patient que pour le professionnel ou l’établissement de santé responsable.

Pour le patient, les préjudices peuvent être multiples :

  • Impossibilité d’exercer pleinement ses droits en matière de santé
  • Retard dans la prise en charge médicale ou dans l’engagement d’une procédure judiciaire
  • Préjudice moral lié au sentiment d’être privé d’informations essentielles
  • Aggravation de l’état de santé dans certains cas

Du côté du professionnel ou de l’établissement de santé, les conséquences peuvent être :

  • Engagement de la responsabilité civile ou administrative
  • Sanctions disciplinaires par l’Ordre des médecins
  • Atteinte à la réputation et à la relation de confiance avec les patients
  • Dans les cas les plus graves, poursuites pénales pour entrave à la justice

La jurisprudence a eu l’occasion de préciser ces conséquences. Ainsi, la Cour de cassation a considéré que le refus de communiquer le dossier médical constituait une faute engageant la responsabilité du médecin, même en l’absence de préjudice démontré pour le patient (Cass. 1re civ., 26 sept. 2018, n° 17-20.143).

Les tribunaux administratifs ont également sanctionné des établissements publics de santé pour des retards injustifiés dans la communication des dossiers médicaux, considérant que ces retards constituaient des fautes de nature à engager leur responsabilité.

Les recours possibles pour les patients

Face à un refus ou une obstruction dans l’accès à son dossier médical, le patient dispose de plusieurs voies de recours :

La médiation : Avant toute action contentieuse, il est souvent recommandé de tenter une médiation. Les établissements de santé disposent généralement d’un médiateur médical qui peut intervenir pour faciliter la communication du dossier.

La saisine de la CADA : La Commission d’accès aux documents administratifs peut être saisie en cas de refus de communication. Son avis, bien que consultatif, est généralement suivi par les établissements de santé.

Le recours devant le juge administratif : Pour les établissements publics de santé, un recours pour excès de pouvoir peut être formé devant le tribunal administratif en cas de refus persistant.

L’action en responsabilité civile : Le patient peut engager une action en responsabilité civile contre le professionnel ou l’établissement de santé pour obtenir réparation du préjudice subi.

La plainte ordinale : Une plainte peut être déposée auprès de l’Ordre des médecins pour manquement aux obligations déontologiques.

La plainte pénale : Dans les cas les plus graves, notamment en cas d’entrave à la justice, une plainte pénale peut être envisagée.

Il est recommandé aux patients de bien documenter leurs démarches (courriers recommandés, preuves des relances) pour étayer leur dossier en cas de recours.

Vers une meilleure protection du droit d’accès au dossier médical

Face à la persistance des cas de non-communication fautive, plusieurs pistes sont envisagées pour renforcer la protection du droit d’accès au dossier médical :

La sensibilisation des professionnels de santé : Une meilleure formation des médecins et du personnel administratif aux enjeux juridiques et éthiques de la communication du dossier médical est nécessaire.

La simplification des procédures : Le développement de plateformes numériques sécurisées pourrait faciliter l’accès des patients à leurs données de santé, tout en garantissant la confidentialité.

Le renforcement des sanctions : Certains proposent d’alourdir les sanctions en cas de non-communication fautive, pour inciter les professionnels et établissements à plus de diligence.

L’élargissement des pouvoirs de la CADA : Donner un caractère contraignant aux avis de la CADA pourrait accélérer la résolution des litiges.

La création d’un droit à l’information renforcé : Au-delà du simple accès au dossier, certains plaident pour un véritable droit à l’explication et à l’accompagnement dans la compréhension des informations médicales.

Ces évolutions potentielles s’inscrivent dans une tendance plus large de renforcement des droits des patients et de transparence dans le domaine de la santé. Elles visent à garantir un équilibre entre le droit à l’information du patient et les impératifs de protection du secret médical et de bonne organisation des soins.

La non-communication du dossier médical reste un enjeu majeur du droit de la santé. Si le cadre juridique est clair, son application pratique soulève encore de nombreuses difficultés. Une vigilance constante des patients, des professionnels de santé et des autorités de contrôle est nécessaire pour garantir l’effectivité de ce droit fondamental.