
La prescription de la dette pénale constitue un mécanisme juridique fondamental qui éteint l’obligation du condamné de s’acquitter des sanctions pécuniaires prononcées à son encontre après l’écoulement d’un certain délai. Ce dispositif, distinct de la prescription de l’action publique et de la peine, s’inscrit dans une logique d’équilibre entre l’effectivité des sanctions et la sécurité juridique. Face à l’engorgement des tribunaux et aux difficultés de recouvrement, la question de la prescription des amendes pénales et autres obligations financières issues d’une condamnation soulève des interrogations majeures quant à l’efficacité de notre système répressif. Les récentes réformes ont considérablement modifié ce régime, redessinant les contours d’un mécanisme souvent méconnu mais aux implications considérables tant pour les condamnés que pour l’État.
Fondements et principes directeurs de la prescription de la dette pénale
La prescription de la dette pénale repose sur un socle théorique qui mêle considérations pratiques et principes fondamentaux du droit. Ce mécanisme extinctif trouve sa justification dans la nécessité de ne pas maintenir indéfiniment le condamné sous la menace d’une exécution forcée, tout en assurant une forme de sécurité juridique indispensable à l’ordre social.
D’un point de vue historique, la prescription de la dette pénale s’est développée parallèlement à celle de l’action publique et de la peine. Toutefois, elle s’en distingue par son objet spécifique : non pas l’effacement de la culpabilité ou de la sanction elle-même, mais l’extinction de l’obligation de paiement qui en découle. La Cour de cassation a régulièrement rappelé cette distinction fondamentale, notamment dans son arrêt du 26 mai 2010, où elle précise que « la prescription de la peine n’entraîne pas automatiquement celle de la dette pénale qui obéit à son propre régime ».
Le Code de procédure pénale organise ce régime spécifique, en établissant un équilibre délicat entre l’intérêt de l’État à recouvrer les sommes dues et le droit du condamné à ne pas demeurer éternellement débiteur. Cette tension permanente reflète les deux fonctions principales de la prescription : d’une part, sanctionner l’inertie des autorités chargées du recouvrement et, d’autre part, prendre acte de la difficulté croissante à exécuter une sanction pécuniaire avec l’écoulement du temps.
La nature juridique de la dette pénale mérite une attention particulière. Elle constitue une créance de l’État sur le condamné, mais une créance d’une nature particulière puisqu’elle découle d’une décision de justice répressive. Cette spécificité justifie l’application d’un régime dérogatoire au droit commun des obligations. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 21 janvier 2016, a d’ailleurs reconnu la constitutionnalité de ce traitement différencié, considérant que « la dette pénale, par sa nature et ses finalités, justifie l’application de règles spécifiques de prescription ».
Les principes directeurs qui gouvernent ce mécanisme reflètent cette double dimension, à la fois civile et pénale. On y retrouve :
- Le principe de légalité, qui impose que les délais et modalités de prescription soient clairement définis par la loi
- Le principe de sécurité juridique, qui justifie l’existence même du mécanisme prescriptif
- Le principe d’effectivité des sanctions pénales, qui explique les règles particulières d’interruption et de suspension
La prescription de la dette pénale s’inscrit dans une vision moderne de la justice pénale, où l’exécution de la sanction doit intervenir dans un délai raisonnable pour conserver sa fonction dissuasive et rétributive. Le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a d’ailleurs souligné, dans sa recommandation du 17 septembre 2003, l’importance d’un recouvrement efficace et rapide des amendes pénales, tout en reconnaissant la légitimité des mécanismes de prescription.
Régime juridique et délais applicables aux différentes catégories de dettes pénales
Le régime juridique de la prescription de la dette pénale se caractérise par sa complexité et sa diversité, reflétant la variété des sanctions pécuniaires pouvant être prononcées par les juridictions répressives. La compréhension fine de ces mécanismes nécessite d’établir une typologie précise des différentes catégories de dettes pénales et d’analyser les délais qui leur sont applicables.
La prescription des amendes pénales
L’amende constitue la dette pénale par excellence. Son régime de prescription est régi principalement par l’article L.133-4 du Code des procédures civiles d’exécution, qui prévoit un délai de prescription de 6 ans à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive. Ce délai unifié, issu de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, représente un compromis entre l’ancien délai trentenaire et la nécessité d’accélérer les procédures de recouvrement.
Toutefois, ce délai général connaît des exceptions notables. Ainsi, les amendes prononcées pour les contraventions de police se prescrivent par 3 ans, conformément à l’article 133-5 du Code pénal. Cette différenciation témoigne d’une gradation logique en fonction de la gravité de l’infraction. Pour les crimes, le délai de prescription de la dette d’amende s’aligne sur celui de la peine elle-même, soit 20 ans, renforçant ainsi le caractère dissuasif de la sanction pour les infractions les plus graves.
La prescription des frais de justice et des dommages-intérêts
Les frais de justice criminelle, correctionnelle et de police, mis à la charge du condamné, constituent une catégorie particulière de dette pénale. Leur régime de prescription a longtemps été source d’incertitudes jurisprudentielles. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a clarifié cette question dans un arrêt du 7 novembre 2018, en affirmant que ces frais suivent le même régime que l’amende à laquelle ils se rattachent.
Concernant les dommages-intérêts alloués à la partie civile, la situation est plus nuancée. Bien que prononcés par une juridiction répressive, ils conservent une nature civile. Par conséquent, ils sont soumis à la prescription de droit commun des actions personnelles ou mobilières, soit 5 ans selon l’article 2224 du Code civil. Cette dualité de régime illustre parfaitement l’hybridité de certaines dettes issues d’une condamnation pénale.
Le cas particulier des confiscations et autres sanctions pécuniaires
Les confiscations et autres sanctions à caractère patrimonial, comme les jours-amende ou les sanctions pécuniaires prononcées contre les personnes morales, obéissent à des règles spécifiques. La confiscation, par exemple, s’exécute immédiatement et transfère la propriété du bien à l’État, ce qui exclut en principe toute prescription ultérieure de l’obligation de remettre le bien.
Pour les jours-amende, dispositif introduit par la loi du 10 juin 1983, la prescription suit un régime hybride. La créance pécuniaire se prescrit selon les règles applicables aux amendes, mais la contrainte judiciaire susceptible d’être mise en œuvre en cas de non-paiement suit le régime de prescription des peines privatives de liberté.
- Amendes criminelles : prescription de 20 ans
- Amendes correctionnelles : prescription de 6 ans
- Amendes contraventionnelles : prescription de 3 ans
- Frais de justice : alignement sur le régime de l’amende principale
- Dommages-intérêts : prescription de 5 ans (régime civil)
Ce morcellement des règles applicables, bien que complexe, répond à une logique juridique cohérente qui tient compte de la nature des différentes obligations financières imposées au condamné. Il reflète la recherche d’un équilibre entre l’efficacité du recouvrement et le respect des principes fondamentaux du droit pénal et civil.
Mécanismes d’interruption et de suspension de la prescription
Les mécanismes d’interruption et de suspension constituent des rouages essentiels du régime de prescription de la dette pénale. Ils permettent d’adapter le cours normal du délai prescriptif à diverses situations qui justifient son arrêt momentané ou sa remise à zéro. Ces dispositifs, loin d’être de simples technicités procédurales, reflètent un équilibre subtil entre l’intérêt de l’État créancier et les droits du condamné débiteur.
L’interruption de la prescription
L’interruption de la prescription se caractérise par l’anéantissement du délai déjà couru et le démarrage d’un nouveau délai de même durée. Ce mécanisme est principalement déclenché par les actes de poursuite visant au recouvrement de la dette pénale. L’article L.111-4 du Code des procédures civiles d’exécution énumère ces actes interruptifs, parmi lesquels figurent notamment :
- La notification du commandement de payer
- La saisie des biens du débiteur
- La déclaration de créance au passif d’une procédure collective
- Toute demande en justice visant à obtenir l’exécution du titre
La jurisprudence de la Cour de cassation a progressivement précisé la portée de ces dispositions en matière de dette pénale. Dans un arrêt du 14 mars 2017, la Haute juridiction a ainsi considéré que « tout acte d’exécution forcée régulièrement signifié au débiteur interrompt la prescription, indépendamment de son efficacité immédiate ». Cette solution pragmatique évite que l’insolvabilité organisée du condamné ne conduise à l’extinction de sa dette.
Les effets de l’interruption sont considérables puisqu’ils permettent théoriquement de prolonger indéfiniment la durée de vie de la créance pénale, à condition que l’administration procède régulièrement à des actes interruptifs. Cette possibilité a d’ailleurs fait l’objet de critiques doctrinales, certains auteurs comme le Professeur Philippe Conte y voyant une forme d' »imprescriptibilité de fait » contraire à l’esprit même de l’institution prescriptive.
La suspension de la prescription
Contrairement à l’interruption, la suspension n’efface pas le délai déjà écoulé mais en arrête temporairement le cours pour une période déterminée. À l’issue de cette période, le délai reprend là où il s’était arrêté. Ce mécanisme repose sur l’adage latin « contra non valentem agere non currit praescriptio » (la prescription ne court pas contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir).
En matière de dette pénale, plusieurs événements peuvent entraîner la suspension du délai de prescription :
La force majeure constitue un cas classique de suspension, lorsqu’elle empêche l’administration de procéder au recouvrement. Le Conseil d’État, dans une décision du 3 décembre 2014, a rappelé les conditions strictes d’appréciation de cette notion, exigeant un événement à la fois imprévisible, irrésistible et extérieur à l’administration.
L’aménagement de peine peut également entraîner la suspension du délai de prescription de l’amende prononcée concomitamment. Ainsi, pendant l’exécution d’un sursis probatoire ou d’une peine d’emprisonnement, la prescription de la dette d’amende est suspendue, comme l’a confirmé la Chambre criminelle dans un arrêt du 9 janvier 2019.
Les procédures collectives (sauvegarde, redressement ou liquidation judiciaire) constituent un autre cas majeur de suspension. L’article L. 622-21 du Code de commerce prévoit en effet que le jugement d’ouverture d’une telle procédure interrompt ou interdit toute action en justice tendant au paiement d’une somme d’argent, ce qui inclut le recouvrement des amendes pénales.
Ces mécanismes d’interruption et de suspension traduisent une certaine plasticité du régime prescriptif, capable de s’adapter aux circonstances particulières de chaque espèce. Ils constituent des outils indispensables pour les comptables publics chargés du recouvrement, leur permettant d’éviter l’extinction prématurée de créances pénales souvent difficiles à recouvrer.
Toutefois, cette flexibilité ne doit pas conduire à une forme d’acharnement administratif. La Cour européenne des droits de l’homme, dans plusieurs arrêts concernant l’exécution des décisions de justice, a rappelé l’importance d’un juste équilibre entre l’efficacité du recouvrement et le respect de la dignité du débiteur. Cette jurisprudence invite à une application mesurée des mécanismes d’interruption et de suspension, dans le respect des principes fondamentaux du procès équitable.
Enjeux pratiques et contentieux du recouvrement face à la prescription
La mise en œuvre pratique du recouvrement des dettes pénales constitue un défi majeur pour les administrations compétentes, confrontées à un équilibre délicat entre efficacité du recouvrement et respect des droits des condamnés. Ce processus génère un contentieux spécifique, où la question de la prescription occupe une place prépondérante.
Organisation administrative du recouvrement
Le recouvrement des dettes pénales mobilise plusieurs acteurs institutionnels dont les compétences s’articulent selon la nature de la créance. L’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC), créée par la loi du 9 juillet 2010, joue un rôle central dans la gestion des biens confisqués. Pour les amendes et les frais de justice, ce sont principalement les comptables de la Direction générale des finances publiques (DGFIP) qui interviennent, appuyés par les services du Trésor Public.
Cette organisation complexe peut engendrer des difficultés de coordination qui favorisent l’apparition de cas de prescription. Un rapport de la Cour des comptes publié en 2019 soulignait d’ailleurs que « l’éclatement des responsabilités en matière de recouvrement des amendes pénales constitue un facteur de risque quant à la prescription des créances ». Ce constat a motivé plusieurs réformes visant à rationaliser le circuit de recouvrement.
La dématérialisation des procédures représente l’une des évolutions majeures dans ce domaine. Le déploiement du logiciel Chorus a permis d’améliorer le suivi des créances pénales et de réduire les risques de prescription par oubli administratif. Cette modernisation s’accompagne d’une politique de recouvrement plus proactive, avec notamment la mise en place d’alertes automatisées signalant les créances approchant du terme prescriptif.
Stratégies contentieuses et moyens de défense
Face aux actions en recouvrement, les condamnés développent diverses stratégies contentieuses, parmi lesquelles l’exception de prescription figure en bonne place. Cette exception constitue un moyen de défense péremptoire qui, lorsqu’il est accueilli, entraîne l’extinction définitive de l’obligation de paiement.
La charge de la preuve en matière de prescription fait l’objet d’une jurisprudence nuancée. Selon un arrêt de la Chambre commerciale du 13 mai 2014, « il appartient à celui qui invoque la prescription d’en rapporter la preuve ». Toutefois, cette règle est tempérée par l’obligation pour l’administration de justifier des actes interruptifs qu’elle allègue. Cette répartition équilibrée de la charge probatoire reflète la nature mixte de la prescription, à la fois moyen de défense et mode d’extinction des obligations.
Les contestations relatives à la régularité des actes interruptifs constituent un terrain contentieux particulièrement fertile. Les débiteurs invoquent fréquemment des vices de forme ou de procédure pour obtenir l’annulation de ces actes et, par voie de conséquence, la prescription de leur dette. La jurisprudence administrative a progressivement précisé les conditions de validité des actes interruptifs, exigeant notamment qu’ils soient notifiés à personne ou à domicile, comme l’illustre une décision du Conseil d’État du 27 juillet 2016.
L’insolvabilité organisée représente une autre stratégie fréquemment employée pour échapper au paiement jusqu’à l’obtention de la prescription. Face à ce phénomène, l’administration dispose de plusieurs outils, comme la solidarité pénale entre coauteurs ou complices, prévue par l’article 480-1 du Code de procédure pénale, ou encore les mesures conservatoires qui peuvent être prises dès le stade de l’instruction.
Difficultés pratiques et solutions innovantes
Les difficultés pratiques du recouvrement sont nombreuses et variées. L’identification des biens saisissables constitue un obstacle majeur, particulièrement pour les condamnés disposant d’un patrimoine dissimulé ou situé à l’étranger. La coopération internationale en matière de recouvrement des amendes pénales reste perfectible, malgré les avancées permises par la décision-cadre 2005/214/JAI relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires.
L’engorgement des services chargés du recouvrement représente une autre difficulté structurelle. La multiplication des amendes forfaitaires, notamment en matière de circulation routière, a considérablement accru la charge de travail des comptables publics, augmentant mécaniquement le risque de prescription par inaction.
Face à ces défis, des solutions innovantes émergent. La transaction pénale, mécanisme permettant au condamné de s’acquitter d’une somme réduite pour éviter les poursuites en recouvrement, connaît un développement significatif. Cette approche pragmatique permet d’améliorer le taux de recouvrement tout en désengorgeant les services concernés.
L’amélioration des techniques d’investigation patrimoniale constitue une autre piste prometteuse. La création d’officiers fiscaux judiciaires, dotés de prérogatives étendues en matière de recherche des avoirs criminels, illustre cette tendance à renforcer les capacités d’enquête financière pour contrer les stratégies d’organisation d’insolvabilité et prévenir les cas de prescription.
Perspectives d’évolution et réformes envisageables du système prescriptif
Le régime de prescription de la dette pénale, à l’instar de nombreux mécanismes juridiques, fait l’objet de réflexions constantes visant à l’adapter aux mutations sociales, économiques et technologiques. Ces évolutions potentielles s’inscrivent dans un contexte plus large de transformation de la justice pénale et de ses modalités d’exécution.
Vers une harmonisation des délais de prescription
La diversité des délais applicables aux différentes catégories de dettes pénales engendre une complexité qui nuit tant à l’efficacité du recouvrement qu’à la lisibilité du droit pour les justiciables. Une tendance à l’harmonisation se dessine, inspirée notamment par les travaux de la Commission de réforme de la prescription en matière pénale présidée par Jean-Jacques Urvoas en 2015.
Cette harmonisation pourrait prendre la forme d’un alignement des délais de prescription de la dette pénale sur ceux de la prescription de la peine elle-même, créant ainsi un continuum logique entre la condamnation, son exécution et le recouvrement des sommes dues. Une telle réforme simplifierait considérablement le travail des praticiens tout en renforçant la cohérence globale du système répressif.
La directive européenne 2014/42/UE concernant le gel et la confiscation des instruments et des produits du crime pourrait servir de modèle à cette harmonisation, en proposant un cadre unifié pour le traitement des avoirs criminels. Son influence se fait déjà sentir dans plusieurs États membres qui ont entrepris de refondre leur législation relative au recouvrement des amendes pénales.
L’impact des nouvelles technologies sur le recouvrement et la prescription
L’avènement de la blockchain et des crypto-actifs bouleverse les paradigmes traditionnels du recouvrement des créances pénales. Ces technologies offrent de nouvelles possibilités de dissimulation patrimoniale tout en rendant plus complexe le travail des autorités chargées du recouvrement. Cette évolution pourrait justifier un aménagement du régime prescriptif, par exemple en prévoyant une suspension du délai pendant les investigations nécessaires à l’identification des actifs numériques.
Parallèlement, ces mêmes technologies pourraient être mises au service d’un recouvrement plus efficace. La traçabilité inhérente aux registres distribués de type blockchain permettrait un suivi en temps réel des flux financiers, facilitant la détection des manœuvres visant à organiser l’insolvabilité. Plusieurs pays expérimentent déjà des systèmes de ce type, comme la Corée du Sud qui a développé une plateforme blockchain dédiée au recouvrement des amendes pénales.
L’intelligence artificielle constitue un autre levier technologique prometteur. Des algorithmes prédictifs pourraient être déployés pour identifier les dossiers présentant un risque élevé de prescription, permettant ainsi une allocation plus efficiente des ressources humaines dédiées au recouvrement. De tels outils sont déjà expérimentés dans certaines juridictions américaines, avec des résultats encourageants en termes de réduction du taux de prescription.
Réformes structurelles et nouvelles approches du recouvrement
Au-delà des aspects technologiques, plusieurs réformes structurelles pourraient transformer en profondeur le système de recouvrement et, par voie de conséquence, le régime de prescription de la dette pénale.
La création d’une agence unique de recouvrement des créances pénales, sur le modèle de l’AGRASC mais avec un champ de compétence élargi, permettrait de centraliser l’expertise et de réduire les risques de prescription liés à l’éclatement actuel des responsabilités. Cette proposition, formulée par le Sénat dans un rapport d’information de 2017, s’inspire notamment du modèle britannique du « HM Courts and Tribunals Service » qui a démontré son efficacité.
Le développement des alternatives au paiement immédiat constitue une autre piste intéressante. Le travail d’intérêt général en substitution de l’amende impayée, déjà possible mais rarement mis en œuvre, pourrait être systématisé, offrant ainsi une solution aux condamnés insolvables tout en préservant la dimension punitive de la sanction. Cette approche nécessiterait toutefois une adaptation du régime prescriptif, avec peut-être l’introduction d’un délai spécifique pour la conversion de l’amende en travail d’intérêt général.
La justice restaurative, en plein essor dans notre système pénal, pourrait également influencer l’évolution du recouvrement des dettes pénales. En privilégiant la réparation du préjudice causé à la victime plutôt que le paiement d’une amende à l’État, ce paradigme modifierait profondément la nature même de la dette pénale et, par conséquent, son régime prescriptif.
- Création d’une agence unique de recouvrement des créances pénales
- Développement d’un système d’alerte précoce sur les risques de prescription
- Renforcement de la coopération internationale en matière de recouvrement
- Mise en place d’alternatives au paiement pour les condamnés insolvables
Ces différentes perspectives d’évolution témoignent d’une réflexion dynamique sur l’avenir de la prescription de la dette pénale. Entre impératifs d’efficacité, exigences de justice sociale et contraintes budgétaires, le législateur devra opérer des arbitrages délicats pour façonner un système à la fois performant et respectueux des droits fondamentaux.
L’équilibre nécessaire entre efficacité du recouvrement et droits des condamnés
La recherche d’un équilibre optimal entre l’efficacité du recouvrement des dettes pénales et le respect des droits fondamentaux des condamnés constitue un défi permanent pour notre système juridique. Cette tension dialectique traverse l’ensemble du régime de prescription et soulève des questionnements profonds sur la finalité même de la sanction pénale dans une société démocratique.
La prescription comme garantie des droits fondamentaux
La prescription de la dette pénale, au-delà de sa dimension technique, représente une garantie essentielle pour les condamnés. Elle incarne la matérialisation juridique du « droit à l’oubli », permettant au débiteur de ne pas demeurer éternellement sous la menace d’une exécution forcée. Ce mécanisme s’inscrit dans une conception humaniste de la justice pénale, où la sanction ne saurait poursuivre indéfiniment le condamné.
La Cour européenne des droits de l’homme a régulièrement souligné l’importance de ce droit à la sécurité juridique, notamment dans l’arrêt Assanidzé c. Géorgie du 8 avril 2004, où elle affirme que « l’exécution des décisions de justice ne peut être différée indéfiniment sans vider de leur substance les garanties de l’article 6 de la Convention ». Cette jurisprudence, bien que développée principalement en matière civile, trouve un écho certain dans le domaine des dettes pénales.
Le principe de proportionnalité joue un rôle central dans cet équilibre. La persistance de la dette pénale doit demeurer proportionnée à la gravité de l’infraction commise et à la situation personnelle du condamné. C’est précisément cette exigence qui justifie la modulation des délais de prescription selon la nature de l’infraction, ainsi que les mécanismes d’adaptation comme la remise gracieuse pour les débiteurs en situation de précarité.
Les impératifs d’efficacité du recouvrement
Face à ces considérations humanistes, les impératifs d’efficacité du recouvrement ne sauraient être négligés. L’effectivité de la sanction pénale constitue un pilier de la politique criminelle moderne, conditionnant tant la fonction dissuasive de la peine que la crédibilité même du système judiciaire.
Les enjeux financiers sont considérables. Selon un rapport de la Direction du Budget publié en 2020, le stock des amendes pénales non recouvrées s’élevait à près de 12 milliards d’euros, dont une part significative menacée de prescription. Cette situation, outre son impact budgétaire direct, engendre un sentiment d’impunité préjudiciable à l’acceptabilité sociale de la justice pénale.
L’efficacité du recouvrement répond également à un impératif d’égalité devant la loi. Comme l’a souligné le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 mars 2011, « le principe d’égalité devant la loi pénale ne fait pas obstacle à ce qu’une différenciation soit opérée par le législateur entre agissements de nature différente ». En revanche, ce même principe s’oppose à ce que des condamnés placés dans une situation identique subissent un traitement différencié quant à l’exécution de leur sanction, notamment en raison de l’inégale efficacité du recouvrement selon les territoires.
Vers un nouveau paradigme : la prescription adaptative
Face à ces exigences parfois contradictoires, l’émergence d’un modèle de « prescription adaptative » pourrait constituer une réponse équilibrée. Ce nouveau paradigme consisterait à moduler les délais et mécanismes prescriptifs en fonction non seulement de la nature de l’infraction, mais aussi de l’attitude du condamné face à son obligation de paiement.
Concrètement, ce système pourrait prévoir un allongement du délai de prescription pour les débiteurs qui organisent activement leur insolvabilité ou dissimulent leur patrimoine. À l’inverse, pour les condamnés qui démontrent leur bonne foi mais se heurtent à des difficultés économiques objectives, un mécanisme de prescription accélérée pourrait être envisagé, éventuellement couplé à des mesures alternatives comme le travail d’intérêt général.
Cette approche différenciée s’inspirerait du droit des procédures collectives, où l’attitude du débiteur influence directement le traitement juridique de sa situation. Elle permettrait de concilier l’exigence d’effectivité des sanctions avec le respect de la dignité des personnes condamnées.
La mise en œuvre d’un tel système nécessiterait toutefois des garanties procédurales renforcées. Un contrôle juridictionnel effectif des décisions d’allongement ou de réduction du délai prescriptif devrait être instauré, probablement confié au juge de l’application des peines dont les compétences seraient ainsi élargies au domaine des dettes pénales.
Le développement des mécanismes transactionnels constitue une autre voie prometteuse pour résoudre cette tension entre efficacité et respect des droits. La transaction pénale, déjà évoquée, mais aussi les procédures de règlement amiable des dettes pénales, pourraient être systématisées et encadrées par des critères objectifs, garantissant à la fois l’égalité de traitement et l’adaptation aux situations individuelles.
Ces évolutions s’inscrivent dans une tendance plus large de personnalisation de la réponse pénale, où l’exécution de la sanction, y compris dans sa dimension financière, fait l’objet d’un suivi individualisé. Cette approche, sans renoncer à l’effectivité du recouvrement, reconnaît la nécessité d’adapter les modalités d’exécution aux réalités socio-économiques et aux parcours de réinsertion des personnes condamnées.